Comme beaucoup de monde, j’ai essayé de me procurer cette semaine un exemplaire du dernier Charlie Hebdo. Cela n’a pas été une mince affaire mais j’ai fini par réussir à obtenir un exemplaire, que j’ai ouvert et que j’ai lu. J’ai commencé par l’édito, qui se trouve à cheval entre la page 1 et la page 2… difficile de le rater. Pourtant, je n’ai pour l’instant entendu aucun média en parler. Bien au contraire, certains médias qui affichent sur leur site un petit écusson « Je suis Charlie » font exactement l’inverse de ce que préconise cet édito, vibrante défense de « la laïcité, point final » : on a vu ainsi certains « Je suis Charlie » se demander si, quand même, cette « une », c’était pas un peu de la provoc’. Les « oui, mais », comme dit l’édito de Charlie Hebdo, recommencent déjà.
Pour permettre à chacun de savoir ce que veut dire « être Charlie » aux yeux de celles et ceux qui font Charlie chaque semaine, j’ai décidé de recopier ici l’édito que certains médiacrates et « experts » porteurs de badges noirs feraient bien de lire avant de déblatérer des imbécilités. Je prie (laïquement) l’ auteur de cet édito de bien vouloir m’excuser si jamais j’ai commis des erreurs en le recopiant.
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Est-ce qu’il y aura encore des « oui, mais » ?
Édito de Charlie Hebdo, n° 1178 du 14 janvier 2015, par Gérard Biard
Depuis une semaine, Charlie, journal athée, accomplit plus de miracles que tous les saints et prophètes réunis. Celui dont nous sommes le plus fiers, c’est que vous avez entre les mains le journal que nous avons toujours fait, en compagnie de ceux qui l’ont toujours fait. Ce qui nous a le plus fait rire, c’est que les cloches de Notre-Dame ont sonné en notre honneur… Depuis une semaine, Charlie soulève à travers le monde bien plus que des montagnes. Depuis une semaine, comme l’a si magnifiquement dessiné Willem, Charlie a plein de nouveaux amis. Des anonymes et des célébrités planétaires, des humbles et des nantis, des mécréants et des dignitaires religieux, des sincères et des jésuites, des que nous garderons pour la vie et des qui ne sont que très brièvement de passage. Aujourd’hui, nous les prenons tous, nous n’avons pas le temps ni le cœur de faire le tri. Nous ne sommes pas dupes pour autant. Nous remercions de tout notre cœur ceux, par millions, qu’ils soient simples citoyens ou qu’ils incarnent les institutions, qui sont vraiment à nos côtés, qui, sincèrement et profondément, « sont Charlie » et qui se reconnaîtront. Et nous emmerdons les autres, qui de toute façon s’en foutent…
Une question, quand même, nous taraude : est-ce qu’on va enfin faire disparaître du vocabulaire politique et intellectuel le sale mot de « laïcard intégriste » ? Est-ce qu’on va enfin arrêter d’inventer de savantes circonvolutions sémantiques pour qualifier pareillement les assassins et leurs victimes ?
Ces dernières années, nous nous sommes sentis un peu seuls, à tenter de repousser à coups de crayons les saloperies franches et les finasseries pseudo intellectuelles qu’on nous jetait au visage, et au visage de nos amis qui défendaient fermement la laïcité : islamophobes, christianophobes, provocateurs, irresponsables, jeteurs d’huile sur le feu, racistes, vous-l’avez-bien-cherché… Oui, nous condamnons le terrorisme, mais. Oui, menacer de mort des dessinateurs, ce n’est pas bien, mais. Oui, incendier un journal, c’est mal, mais. Nous avons tout entendu, et nos amis aussi. Nous avons souvent essayé d’en rire, parce que c’est ce que nous faisons le mieux. Mais nous aimerions bien, maintenant, rire d’autre chose. Parce que ça recommence déjà. Le sang de Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, Elsa Cayat, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Michel Renaud, Franck Brinsolaro, Frédéric Boisseau, Ahmed Merabet, Clarissa Jean-Philippe, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada, n’avait pas encore séché que Thierry Meyssan expliquait à ses fans Facebook qu’il s’agissait, évidemment, d’un complot judéo-américano-occidental. On entendait déjà, ça et là, les fines bouches faire la moue devant le rassemblement de dimanche dernier, bavant du coin des lèvres les éternelles arguties visant à justifier, ouvertement ou à bas bruit, le terrorisme et le fascisme religieux, et s’indignant, entre autres, que l’on célèbre les policiers = SS. Non, dans ce massacre, il n’y a pas de morts moins injustes que d’autres. Franck, qui est mort dans les locaux de Charlie, et tous ses collègues abattus au cours de cette semaine de barbarie sont morts pour défendre des idées qui, peut-être, n’étaient même pas les leurs.

Nous allons quand même essayer d’être optimistes, bien que ce ne soit pas la saison. Nous allons espérer qu’à partir de ce 7 janvier 2015 la défense ferme de la laïcité va aller de soi pour tout le monde, qu’on va enfin cesser, par posture, par calcul électoral ou par lâcheté, de légitimer ou même de tolérer le communautarisme et le relativisme culturel, qui n’ouvrent la voie qu’à une seule chose : le totalitarisme religieux. Oui, le conflit israélo-palestinien est une réalité, oui, la géopolitique internationale est une succession de manœuvres et de coups fourrés, oui, la situation sociale des, comme on dit, « populations d’origine musulmane » en France est profondément injuste, oui, le racisme et les discriminations doivent être combattus sans relâche. Il existe heureusement plusieurs outils pour tenter de résoudre ces graves problèmes, mais ils sont tous inopérants s’il en manque un : la laïcité. Pas la laïcité positive, pas la laïcité inclusive, pas la laïcité-je-ne-sais-quoi, la laïcité, point final. Elle seule permet, parce qu’elle prône l’universalisme des droits, l’exercice de l’égalité, de la liberté, de la fraternité, de la sororité. Elle seule permet la pleine liberté de conscience, liberté que nient, plus ou moins ouvertement selon leur positionnement marketing, toutes les religions dès lors qu’elles quittent le terrain de la stricte intimité pour descendre sur le terrain politique. Elle seule permet, ironiquement, aux croyants et aux autres, de vivre en paix. Tous ceux qui prétendent défendre les musulmans en acceptant le discours totalitaire religieux défendent en fait les bourreaux. Les premières victimes du fascisme islamique, ce sont les musulmans.
Les millions de personnes anonymes, toutes les institutions, tous les chefs d’État et de gouvernement, toutes les personnalités politiques, intellectuelles et médiatiques, tous les dignitaires religieux qui, cette semaine, ont proclamé « Je suis Charlie » doivent savoir que ça veut aussi dire « Je suis pour la laïcité ». Nous sommes convaincus que, pour la majorité de nos soutiens, cela va de soi. Nous laissons les autres se démerder avec ça.
Une dernière chose, importante. Nous voudrions aussi envoyer un message au pape François, qui, lui aussi, « est Charlie » cette semaine : nous n’acceptons que les cloches de Notre-Dame sonnent en notre honneur que lorsque ce sont les Femen qui les font tinter.
Merci et Bravo.
Cet article est excellent! Il faudrait que beaucoup de personnes pour ou contre Charlie le lisent pour y réfléchissent posément.!
Très bel édito, avec des mots justes, qui décrit parfaitement bien ce que doit être un Pays Démocratique et, donc, Libre, ce qui inclut la Laïcité.
merci de faire circuler le contenu de cet edito qui nous remet vraiment en face de nos responsablites oui la laicite donne la liberte a chacun de penser, de vivre sa vie religieuse comme il le souhaite. a chacun d entre nous de defendre ardement ce pillier de notre etat republicain et n hesitons pas a le rappeler a nos politiciens qui souvent l oublie et participent aux montees des extremes. je suis agnostique, mon ex mari est musulman pratiquant, mes fils font le choix de la religion musulmane et j ai tout pleins d amis qui pratiquent le culte catholique, boudhiste,protestant ou evangelique sans que cela nuisent a nos relations, puisque c est l affaire intime de chacun et pour cela je lit, savoure et en redemande du Charlie Hebdo, du Sine mensuel, du canard enchaine, du fakir….. et bien d autres et je ne m arreterai pas quoiqu il se dise
merci
rien à ajouter à ce texte, j’aime surtout la chute et son clin d’oeil aux femen 😉
D accord à 100 pour 100
Dépendance et liberté.
« Les fausses mystiques qui dévorent l’âme moderne répugnent instinctivement à définir leur objet : c’est qu’elles pressentent que leur idole, une fois définie (c’est-à-dire ramenée à son humble mesure et à ses proportions relatives), ne pourra plus être adorée.
Il en est ainsi de la liberté. Depuis un siècle et demi, bien des hommes sont morts pour ce mot, qui n’ont jamais cherché à en préciser le sens. Tout au plus l’idée de liberté flottait-elle en eux comme un vague mirage d’indépendance absolue et de plénitude divine.
Allumons notre lanterne. Définir la liberté par l’indépendance recouvre une dangeureuse équivoque. Il n’existe pas pour l’homme d’indépendance absolue (un être fini qui ne dépendrait de rien serait un être séparé de tout, c’est-à-dire éliminé de l’existence). Mais il existe une dépendance morte qui l’opprime et une dépendance vivante qui l’épanouit.
La première de ces dépendances est servitude, la seconde est liberté.
Un forçat dépend de ses chaînes, un laboureur dépend de la terre et des saisons : ces deux expressions désignent des réalités bien différentes.
– Revenons aux comparaisons biologiques qui sont toujours les plus éclairantes. Qu’est-ce que « respirer librement » ? Serait-ce le fait de poumons absolument « indépendants » ? Tout au contraire : les poumons respirent d’autant plus librement qu’ils sont plus solidement, plus intimement liés aux autres organes du corps. Si ce lien se relâche, la respiration devient de moins en moins libre, et, à la limite, elle s’arrête. La liberté est fonction de la solidarité vitale.
Mais dans le monde des âmes, cette solidarité vitale porte un autre nom : elle s’appelle l’amour.
Suivant notre attitude à leur égard, les mêmes liens peuvent être acceptés comme des attaches vivantes ou repoussés comme des chaînes, les mêmes murs peuvent avoir la dureté oppressive de la prison ou la douceur intime du refuge. L’enfant studieux court librement à l’école, le vrai soldat s’adapte amoureusement à la discipline, les époux qui s’aiment s’épanouissent dans les « liens » du mariage. Mais l’école, la caserne et le ménage sont d’affreuses geôles pour l’écolier, le soldat ou les époux sans vocation.
L’homme n’est pas libre dans la mesure où il ne dépend de rien ni de personne : il est libre dans l’exacte mesure où il dépend de ce qu’il aime, et il est captif dans l’exacte mesure où il dépend de ce qu’il ne peut aimer.
Ainsi le problème de la liberté ne se pose pas en termes d’indépendance. Il se pose en termes d’amour. Notre puissance d’attachement détermine notre capacité de liberté. Si terrible que soit son destin, celui qui peut tout aimer est toujours parfaitement libre, et c’est dans ce sens qu’il est parlé de la liberté des saints.
A l’extrême opposé, ceux qui n’aiment rien ont beau briser des chaînes et faire des révolutions : ils restent toujours captifs. Tout au plus arrivent-ils à changer de servitude, comme un malade incurable qui se retourne sur son lit.
Est-ce à dire qu’on doive accepter indifférement toutes les contraintes et s’efforcer d’aimer tous les jougs ? Cette voie des saints ne saurait être proposée comme un idéal social. Tant que le mal et l’oppression seront de ce monde, il y aura des jougs et des chaînes à briser.
Mais ce travail révolutionnaire ne peut pas être une fin en soi : la rupture d’une attache morte doit aboutir à la consolidation d’un lien vivant.
Il ne s’agit pas d’investir chaque individu d’une indépendance illusoire : il s’agit de créer un climat où chaque individu puisse aimer les êtres et les choses dont il dépend. Si notre volonté d’indépendance n’est pas dominée et dirigée par ce désir d’unité, nous sommes mûrs pour la pire servitude.
Je le répète : l’homme n’a pas le choix entre la dépendance et l’indépendance ; il n’a le choix qu’entre l’esclavage qui étouffe et la communion qui délivre.
L’individualisme – nous ne l’avons que trop vu – n’est qu’un refuge provisoire ; nous ne sommes pas seuls ; nous ne pouvons pas nous abstraire les uns des autres, et, bien avant l’égalité suprême de la mort, le même destin nous emporte.
il dépend de nous seuls de faire ce destin commun favorable ou néfaste. Si nous ne vivons pas ensemble comme les organes d’un même corps, nous nous flétrirons et nous pourrirons ensemble comme ces feuilles sans sève, si indépendantes les unes des autres, si individualistes, mais que le même vent d’automne arrache et roule à son gré. Ou plutôt – car la France aussi ne peut pas s’abstraire du reste du monde – une force étrangère nous imposera du dehors cette unité que nous n’avons pas voulu créer du dedans.
L’alternative est claire : ou nous serons unis aujourd’hui dans le même amour ou courbés demain sous le même joug. »
« Retour au réel » – Première partie. § VI : « Dépendance et liberté » (pp. 157-161) – 1943.
Gustave Thibon
Pour une femen minimum dans chaque église en carilloneuse !
Je ne vois rien à ajouter, la violence les crimes au nom de la religion très peu pour moi! l’éducation non violente donne de meilleurs résultats que la contrainte religieuse et l’ adoration de prophètes transformés en Dieu!
Je comprends une grande partie de son édito et suis d’accord avec. En effet, la laïcité est indispensable et la liberté de publier des articles critiques aussi. Cependant, la critique que certaines personnes adressent à Charlie est d’utiliser l’injure et la provocation comme moyen d’expression. Il n’est pas question de légiférer dessus, et bien entendu Charlie doit jouir du droit de publier ses caricatures. Pourtant, je fais partie des personnes qui n’apprécient pas la forme du propos de Charlie (pas le fond), car je pense que la provocation ne sert pas l’argumentation, et ne crée pas un climat propice à l’échange.
Cette opinion ne m’empêche aucunement de condamner fermement ces meurtres barbares, et de témoigner ma solidarité aux familles de toutes les victimes. En espérant que l’on pourra un jour converser paisiblement et réfléchir rationnellement aux enjeux de notre société, plutôt que de laisser nos émotions du moment focaliser notre attention trop aléatoirement.
Merci d’avoir copier cet Editorial remarquable de Charlie Hebdo. Cela m’a évité de le recopier car je trouve qu’il faudrait le faire circuler autour de soi. C’est une très bonne base de discussion et j’ai découvert dans cet article que l’auteur du complot judéo-américano-occidental était Thierry Meyssan de Boulevard Voltaire ce qui ne m’étonne pas plus que cela. C’est aussi vrai que ce thème n’est pas vraiment repris dans la presse et c’est bien dommage car il en vaut vraiment la peine. Ceci me fait penser aux insupportables thèses négationistes sur la soi-disant non existance de la Shoah ainsi que le soit-disant complot de l’attentat du World Trade Center du 11.09. Il est difficile d’imaginer que des gens cultivés et intelligents puissent se laisser entrainer mentalement dans de tels incroyables mensonges.
Sans aucune sympathie pour cet homme, je précise néanmoins que Theirry Meyssan est du Réseau Voltaire, et non du Boulevard Voltaire.
Merci et mille bravos
Effectivement, à lire de toute urgence car effectivement, une belle majorité de médias et leurs journalistes sont retombés dans leurs travers de prédilection.
Et tout cela est affligeant
Merci d’avoir publié ici cet édito qui dit clairement les choses. L’engouement extraordinaire qui a suivit l’attaque criminel contre Charlie Hebdo ne doit, en aucun cas, faire oublier que ce journal était moribond car délaissée par la plupart des gens , ces mêmes gens (enfin de nombreux en tout cas) qui se réclament des valeurs de ce journal et qui sont sans doute vomi ce canard assez souvent . Bien entendu le « je suis Charlie » dépasse cela et s’étend à toute atteinte à la liberté mais il faudra prendre garde à ce que le principe de laïcité et de rire de tous et de tout (et oui !!) soit bien présent encore longtemps.
Il est consternant d’entendre des « oui mais , ils l’ont bien cherché on ne blasphème pas le prophète ! » car jamais il n’a été moqué , les dessinateurs ont voulu dénoncer par le biais de l’humour la dictature et le mode de vie imposé par des barbares extrémistes (oui intégristes ) ce qui n’a rien à voir avec la religion . Voilà tout !! C’était juste : Pour rire , bordel !!
Vive la liberté !! http://www.youtube.com/watch?v=pMG2m50oSCc
http://www.liberation.fr/societe/2014/07/09/deux-sons-de-cloches-au-proces-des-femen_1060855
N’exagérons pas !
«Qu’ils pardonnent et qu’ils absolvent! N’aimez-vous point vous-mêmes que Dieu vous absolve? Et Allah est Pardonneur et Miséricordieux. » ( sourate 24 An-Nur, V 22)
Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez point, et vous ne serez pas jugés; ne condamnez point, et vous ne serez pas condamnés; pardonnez, et on vous pardonnera.(Luc 6:36-37)
c’est vrai que l’édito complète bien la une… »tout est pardonné » on finirait par se « croire » entre le coran et la bible…cachez ce saint (de femen ?) que je ne saurais voir, il y a quelque chose qui cloche à notre bonne dame