Dans une lettre ouverte aux éditions Fayard, Jean-Luc Mélenchon a récemment expliqué pourquoi il s’opposait à une réédition de Mein Kampf, le livre d’Adolf Hitler. Pour lui, « éditer, c’est diffuser ». Il précise : « Même si l’affaire est bonne, perdez de l’argent plutôt que l’honneur de refuser de concourir si peu que ce soit aux crimes que notre époque contient de nouveau ». Une position qu’il a à nouveau défendue au micro de BFMTV.
Cette prise de position a été abondamment relayée dans la presse. Mais deux articles ont attiré mon attention par leur choix iconographique plus que douteux. Celui du Huffington Post et celui du Point. En effet, les photographies que ces deux journaux ont choisi pour illustrer leurs articles assimilent directement ou indirectement Jean-Luc Mélenchon à Adolf Hitler.
Le Huffington Post met Mélenchon et Hitler sur le même plan
Au Huffington Post, on ne s’est pas embarrassé beaucoup pour l’illustration. Jean-Luc Mélenchon et Adolf Hitler sont placés côte à côte dans une posture physique tout à fait similaire. Jugez plutôt :
On peut se demander ce qui pousse à cette juxtaposition. En quoi fait-elle sens alors précisément que Jean-Luc Mélenchon a écrit une lettre pour condamner la réédition du torchon d’Adolf Hitler ? Qu’est-ce que cela apporte à la compréhension ? Pourquoi le Huffington Post n’a-t-il pas choisi soit une photo de Jean-Luc Mélenchon, soit une photo de Mein Kampf, comme l’ont fait tous les autres journaux ? Anne Sinclair, directrice éditoriale du Huffington Post apprécierait-elle de voir sa tête à côté de celle d’Hitler si elle parlait de Mein Kampf ?
Bien sûr, certains ne voudront pas voir ce qu’il y a de scandaleux dans ce procédé. Qu’ils imaginent leur propre photo à la place de celle de Mélenchon pour les aider à réfléchir. Qu’ils s’imaginent eux aussi juxtaposés au criminel responsable de la mort de plus de 50 millions de personnes. Qu’ils imaginent le tollé qu’aurait provoqué la juxtaposition d’une photographie de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande à celle d’Adolf Hitler.
Le Point fait de Mélenchon un dictateur
Mais c’est chez Le Point que le choix d’illustration est le plus pernicieux. La photo est un classique de la diabolisation de Jean-Luc Mélenchon. On voit le député européen le doigt tendu, la bouche ouverte, dans une position vindicative. Ici, pas besoin d’ajouter la photo d’Hitler à côté : le lien fonctionne sur la mécanique de la suggestion.
Dans une analyse intitulée « Mélenchon malpoli, Mélenchon nazi », publiée en 2013 à propos d’une édition du magazine du Monde où la diabolisation de Jean-Luc Mélenchon par son assimilation à Hitler atteignait un paroxysme, André Gunthert, enseignant à l’EHESS en cultures visuelles, écrivait [1] :
Malpoli = nazi ? Les journalistes sont plus ou moins conscients de l’outrance de l’amalgame et de la perfidie de l’argument. La preuve en est qu’à quelques exceptions près, ils recourent à des méthodes détournées, sur le mode de l’allusion ou de la caricature, pour suggérer ce message. (…) Dans l’image, les iconographes cherchent des photos correspondant au stéréotype tribunicien, poing levé, gueule ouverte, face grimaçante, où l’orateur prend les traits du Führer ou du Duce.
Comment ne pas voir ce procédé dans l’illustration choisie par Le Point alors que précisément, par le sujet dont il est question, les images d’Hitler que nous connaissons sont rappelées à notre mémoire ? Quel est l’intérêt pour Le Point de choisir une telle image alors que Jean-Luc Mélenchon pose en des mots calmes, clairs, sereins et dignes, une question d’intérêt général. Que l’on soit d’accord ou pas avec son opposition à la réédition de Mein Kampf, mérite-t-il pour autant un tel traitement iconographique ?
Pour donner matière à réflexion sur ce point, vous pourrez regarder ci-dessous comment Challenges, qu’on ne peut pourtant pas taxer de mélenchonphilie, illustre son article sur le sujet. Preuve qu’il était possible de faire aussi sobre et digne que ce que le texte de Jean-Luc Mélenchon appelait.
Malheureusement, et en dépit du bon sens, l’assimilation de Jean-Luc Mélenchon à Hitler dans la presse n’est pas une nouveauté. Pour vous en convaincre, je vous invite à continuer votre lecture en visitant l’article de l’OPIAM sur ce sujet.

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[1] Suite à la publication de cet article, André Gunthert a publié un article que je vous invite à lire, quoi qu’il prenne le contrepied de ce que j’ai écrit. La faute selon moi à une énonciation issue de deux champs différents : l’un scientifique (le sien) ; l’autre politique (le mien). Si la question vous passionne autant que moi, je vous invite donc également à aller lire le commentaire que j’ai publié sur cette question sous l’article d’André Gunthert.
Il faut croire que Mélenchon fait effectivement peur à certains . Il menace des intérêts . Ce qui est amusant, c’est qu’on lui prête les traits de celui (Hitler) pour qui ceux qu’il menace auraient voté en d’autres temps. Je suis d’ailleurs certain qu’il ne ressentent pas la même menace venant de Marine le Pen.
Jean-Luc Mélenchon a raison. Pour une recherche sur l’époque, j’ai eu l’occasion de lire cet ouvrage. Maintenant, certains considèrent qu’Hitler était psychopathe. Je le pense aussi, mais c’était un malade qui savait exposer ses idées avec un raisonnement et une logique très pédagogique. Lorsque j’ai fermé ce
bouquin diabolique, j’ai pensé qu’un esprit un peu faible ou un adolescent perdu cherchant sa voie pourrait se laisser subjuguer comme l’a été une grande partie du peuple allemand du siècle précédent.
En France, les symboles nazis ont été interdits, peut-être pas à la vente mais à l’étalage visible. C’était très à la mode à une période. Je me souviens que j’allais à la chasse des vendeurs indélicats dans les brocantes du voisinage. Ce serait un acte de censure d’en interdire la publication, mais on pourrait certainement en limiter l’étalage considérant la violence contenue dans l’ouvrage, pour protéger la jeunesse?
Je partage votre analyse quant à l’utilisation par des journalistes malveillants (euphémisme !) de rapprochements iniques.
Toutefois cette « affaire » me rend un peu triste. C’est vraiment la première fois depuis 2008 (époque où j’ai pris conscience de l’existence de JLM et que ce qu’il disait me convainquait tout à fait) que je suis en complet désaccord avec JLM.
Oskar Kermann Cyrus a su expliquer pourquoi mieux que je ne le ferais – mais je partage son analyse d’un bout à l’autre :
http://www.sodomeetgomorrhe.com/2015/10/25/mein-kampf-chez-fayard-beaucoup-de-bruit-pour-rien/
J’ajoute personnellement un point de bon sens : comment rayer plus de quatre ans de travail du traducteur (dont les traductions déjà publiées devraient « rassurer » les lecteurs critiques) et des historiens français et internationaux. C’est tout simplement irréaliste. Je comprends la réaction épidermique de JLM, j’ai d’abord eu la même… et puis non, personnellement je lirai cette version critique. Le livre me tombera peut-être des mains comme la version que j’ai déjà tenté de lire (qui se trouvait dans l’Enfer d’une bibliothèque) mais la « censurer » d’emblée me paraît inacceptable. Je mets des guillemets à censurer parce que je sais qu’il ne s’agit pas de ça, d’autres disent que si et c’est dommage, forcément !
Le point en « Je suis partout » et Huffington post en Gringoire » sont bien les dignes descendants de ceux qui servaient la soupe de la collaboration, en servant maintenant celle de la dynastie Lepen, grand messe des pros pétainistes en tous genres… Les années trente resurgissent comme les paniers de crabes et rochers à marée basse. Espérons que le Net saura mettre en évidence et combattre la propagande de ce type de larbins.
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