Les médias modernes, qui ne sont pas les derniers à raconter n’importe quoi, sont souvent adeptes de « fact-checking », c’est à dire de « vérification des faits » énoncés par des personnalités politiques. Le plus souvent, cet exercice prend la forme d’une vérification des chiffres avancés par ces dernières. C’est l’exercice auquel s’est livré RTL le 4 avril dans un article intitulé « Jean-Luc Mélenchon se trompe en disant qu’il y a « 2.000 morts dans la rue tous les ans en France » ».
Sauf que voilà : c’est RTL qui se trompe en disant que Mélenchon se trompe. Et on peut l’affirmer… en utilisant le rapport dont RTL s’est servi. Explications.
Invité du Grand Jury de RTL le dimanche 3 avril 2016, Jean-Luc Mélenchon a affirmé : « Il se passe 560 accidents du travail chaque année. Il y a 2.000 personnes qui meurent dans la rue tous les ans. Et vous n’en parlez jamais ». Immédiatement, RTL bondit sur l’occasion de « vérifier » ces chiffres. Les 560 morts au travail chaque année ? C’est juste. Il y en a eu 530 en 2014 selon l’Assurance maladie. Mais les 2000 morts de la rue ? Ce serait faux selon RTL. Voici ce que dit l’article :
« Après vérification auprès du collectif Les Morts de la Rue, l’organisme qui possède la base de données la plus complète sur la question, il apparaît que 570 personnes sont mortes dans la rue en 2014. C’est déjà énorme et beaucoup trop, mais on est loin du chiffre avancé par Jean-Luc Mélenchon. »
Comprenez : « Jean-Luc Mélenchon, il exagère quand même avec la pauvreté. Il y a beaucoup de morts, mais pas tant que ça ».
Pourtant, plusieurs sources concordent pour dire qu’il y a bien 2000 morts par an dans la rue. C’est ce que dit la fondation Abbé Pierre en page 8 de son premier cahier sur l’état du mal logement en France :
« Le Collectif des Morts de la rue indique que la moyenne d’âge au décès est de 49 ans chez les personnes sans domicile. pour mémoire, ce collectif a comptabilisé le décès de 498 personnes sans domicile en 2014. Un chiffre sans doute très inférieur à la réalité, comme l’a montré une étude épidémiologique récente, qui estime le nombre de morts de la rue à au moins 2 000 par an ».
Mais aussi et surtout, c’est ce que dit le collectif « Les Morts de la rue » lui-même en page 5 de son dernier rapport sur le sujet. Dans un chapitre intitulé « Avertissements à la lecture » et dans une section intitulée : « Notre recensement n’est pas exhaustif », voici ce qu’écrit le collectif :
« Il est difficile d’estimer combien de personnes supplémentaires sont décédées. Le travail d’appariement avec le CepiDc en 2011 permet d’estimer le nombre réel de décès pour 2014 à 2098, avec un large intervalle de confiance compris entre 1450 et 3461. »
2000 est donc malheureusement une fourchette basse, puisque le collectif lui-même estime que le nombre de décès pourrait monter à plus de 3000…
Conclusion : avant de faire des « facts-checking » bidons, surtout sur un sujet aussi sérieux, on invite RTL à lire en entier les rapports qu’ils utilisent. Cela d’autant plus que faire du « fact-checking » sur un tel sujet revient surtout à rendre invisible le sujet lui-même pour des batailles de chiffres ineptes et, on l’a vu, infondées. Ce qui, d’ailleurs, valide très précisément la phrase de Jean-Luc Mélenchon à propos des médias et de leur traitement des sujets importants : « vous n’en parlez jamais ».

Et encore vous êtes passé à côté du plus cocasse dans cette histoire : http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/en-deux-ans-6-000-sdf-sont-morts-en-france-7780535900
Non mais le pire que vous ne dites pas, c’est que RTL a dit plus tôt exactement la même chose que Mélenchon MOT POUR MOT: http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/en-deux-ans-6-000-sdf-sont-morts-en-france-7780535900 !!!
Ils nient leur propre info pour décrédibiliser Mélenchon. Bref…
Il y a pire, c’est que RTL lui-même a publié en novembre 2015 un article accréditant ce chiffre de 2000 morts par an. On est ici dans le comble de la mauvaise foi. En accablant Mélenchon et affirmant qu’il « se trompe » ils se foutent de leurs propres lecteurs.
http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/en-deux-ans-6-000-sdf-sont-morts-en-france-7780535900
plus l’habituel combo photo…
Le plus cocasse dans cette pitoyable désinformation, c’est que RTL désavoue elle-même ses propres journalistes, puisqu’elle publiait ces chiffres à la fin de l’année dernière… http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/en-deux-ans-6-000-sdf-sont-morts-en-france-7780535900
Bon apparemment mes commentaires n’ont pas le droit d’apparaître ici. J’aimerais bien savoir pourquoi. Mon commentaire avait exactement le même propos que celui de @Wild ar-Rachid ci-dessus. Bref…
Bonjour Philippe. Je filtre les commentaires pour éviter les propos racistes qui sont légions sur ce blog (vu que je traite régulièrement de lepénisme médiatique). Le commentaire de Wild-al-Rachid est passé parce que cela fait plusieurs fois qu’il publie un commentaire sur mon blog et qu’il est donc identifié comme pouvant publié sans filtre préalable ;). Voici vos deux commentaires validés désormais 🙂 !
Je participe à la collecte des données pour le collectif Les Morts de la rue et parviens à recenser moins d’un mort sur cinq du secteur géographique que je couvre.
Il m’est arrivé de porter à la connaissance du collectif une mort survenue deux ans plus tôt. Tout simplement parce que je n’avais pas songé que la nouvelle de cette mort, un peu médiatisée, n’avait pas été transmise au collectif. C’est en épluchant la liste des Morts de la rue de cette année-là que j’ai constaté son absence. Cette vérification est très fastidieuse à faire et j’avoue y renoncer le plus souvent par manque de temps.
Beaucoup de zonards, comme ils se nomment eux-mêmes, ou de jeunes en errance, le terme de travailleurs sociaux, vivent sous le pseudonyme ou sobriquet qu’ils ont choisi. Lorsqu’ils meurent sous leur nom d’état-civil, il est fort possible que jamais personne ne songe à les faire figurer dans la liste des morts de la rue.
Lorsqu’ils meurent dans une ville éloignée de leurs habitudes, ils échappent à tous les radars. J’ai ainsi appris la disparition d’un zonard âgé de 20 ans près de trois ans après sa mort. Ne connaissant que son pseudonyme, ne sachant pas exactement ni où ni quand il est décédé, — c’est une relation d’un de ses copains qui m’en a informé — comment faire une fiche de décès fiable ?
X. est décédé d’un coma éthylique. C’est ainsi que sa mort a été officiellement annoncée. C’est grâce à l’un de ses compagnons que j’ai appris sa mort qui n’aurait pas été répertoriée Mort de la rue.
Y. a disparu voici quatre-cinq ans. Je rencontrais souvent et ne me suis pas inquiété : il se casait plus ou moins longtemps durant l’hiver et vagabondait parfois des mois avant de revenir. Il n’est jamais réapparu. Je n’ai aucune idée d’où il a pu passer. On peut penser avec raison qu’il est mort mais on n’a aucune trace ou certitude. Et de lui nous n’avons qu’un prénom dont il n’est même pas certain qu’il soit bien celui de son état-civil.
J’ai encore croisé ces derniers jours un gars qui survit dans un gite pour ex-clochards. Il n’est plus clochard au sens juridique ou social. S’il meurt bientôt, il ne sera pas considéré comme mort de la rue. Alors que sa mort sera tout de même en grande partie dûe à ses plus de vingt années de misère.